Le regard de l’homme sur la femme dans l’Antiquité : une sorte de « domination » masculine à travers l’iconographie paestane.
Par Benjamin Jafflin
Étudiant en master 2 Mondes Anciens à l'université Toulouse Jean Jaurès.
Dans cet article, je vais traiter du regard et la considération que les hommes entretenaient envers la femme dans l’Antiquité par le biais de représentations iconographiques issues de la céramique paestane du IVème siècle. Ainsi, que de mon mémoire qui porte sur la représentation féminine dans la céramique paestane des années 360-330 avant J.-C.
Tout d’abord, il est bon de situer la cité de Paestum et son histoire. La cité de Paestum est fondée vers 600, au sud du fleuve Sele, sur la côte de la Mer Tyrrhénienne par les Achéens de Sybaris. Elle est nommée Poseidonia en l’honneur du dieu de la mer à qui la ville est dédiée. Entre 400 et 273 avant J.-C, elle est occupée par la population italique des Lucaniens, avant de devenir une colonie romaine sous le nom de Paestum. Une production de céramique se développe au cœur de la cité dans les années 380-370 avant J.-C. Pour ce qui est de la production céramique de Paestum, nous en avons connaissance grâce aux travaux de A. D. Trendall qui propose une classification de la céramique italiote publiée dans plusieurs de ces ouvrages. Ce travail fondamental de classification mené par Trendall et réalisé pour plus de 20 000 vases italiotes, permet d’isoler et de définir les différents sites de production d’Italie du Sud, mais aussi, à l’intérieur même de chaque région, d’isoler et d’analyser la production par ateliers et peintres selon la méthode « attributionniste » élaborée par J. Beazley pour la production attique.
Mon sujet de mémoire portant sur la représentation féminine dans la céramique paestane du IVᵉ siècle avait pour but de comprendre la place qu’occupait la femme dans la vie quotidienne par le biais des représentations variées sur la céramique paestane. Et plus particulièrement sur le fait que la femme dans l’Antiquité me semblait peu mise en valeur par rapport aux hommes. Par le biais de deux céramiques paestanes et de leur représentation iconographique, nous allons voire comment la femme était considérée dans l’Antiquité par les hommes.
Dans son ouvrage¹ sur la céramique paestane, on peut constater que la femme est fréquemment représentée dans l’iconographie paestane dans des scènes bien distinctes. Notamment, les scènes de toilettes sont très nombreuses dans la céramique paestane. Ainsi par deux céramiques paestanes reprenant une scène de toilette, nous allons examiner les circonstances et les conditions dans lesquelles ont lieu ces bains qui représentent, parfois, un moment de rencontre et de convivialité, mais peuvent tout autant cacher une autre interprétation à travers le regard de l’homme.
Sur ces deux céramiques provenant de l’atelier d’Astéas et qui date des années 370-330 avant J.-C est représenté une scène de toilette. C’est généralement autour du bassin que le peintre illustre les femmes à leur toilette. Cette vasque à ablutions contenant l’eau nécessaire au bain est nommée loutérion par le Grec. Il est lié au sol, et permet de polariser l’espace. Au IVᵉ siècle avant J.-C, le loutérion se retrouve dans la plupart des foyers domestiques grecs, même les plus modestes. Il se situe dans un endroit en plein air de l’habitation. Cependant, rien ne permet d’affirmer avec certitude que des scènes se déroulent dans un espace intérieur de la maison, le bain féminin pouvant être aussi réalisée au sein d’une palestre. Cette série de scènes, exhibant les femmes, le plus souvent nues à leur toilette, reste problématique puisqu’il est difficile de situer avec précision le cadre de l’action. A priori, elle a lieu en extérieur, car l’idée est de sublimer la beauté de la femme par le biais de ses activités que ce soit par la toilette séductrice ou l’activité sportive. Ces toilettes peuvent être effectuées dans la cour d’une maison ou à la sortie d’un gymnase féminin. Les scènes véhiculent l’image d’une femme toujours plus belle et désirable auprès du genre masculin.

Fig. 1 : Lébès gamikos, Melbourne, Geddes collection, P 2 :1, Astéas. Vers 370-330 avant J.-C, RVP, A. D. Trendall.
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Deux femmes sont appuyées de part et d’autre d’un loutérion. Celui-ci est surmonté d’une fontaine en forme de tête de lion d’où s’échappe un filet d’eau. La femme de gauche est totalement nue. Une pièce de draperie recouvre la taille de celle de droite qui tient un miroir. Au pied du bassin figure un petit oiseau.

Fig. 2 : Cratère en calice en provenance de la nécropole de Laghetto (T. LXIV, 1955) à Paestum. Paestum, Museo Archeologico Nazionale. Astéas. Vers 370-330 avant J.-C. H= 30 cm. D= 28 cm. RVP, A. D. Trendall.
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Une femme, à demi-drapée et richement parée, est appuyée contre un loutérion. Elle tient un miroir. Face à elle se trouve un vieux satyre barbu appuyé contre le bassin. Il teint un aulos et une brochette de fruits dans sa main gauche.
Autour de lui s’organise l’image et les femmes prennent place. Les personnages féminins, côtoyant le loutérion, sont parfois encore vêtus ou parfois à demi déshabillés (Fig. 2). Mais en général, ils sont dépourvus de leurs vêtements (Fig.1), montrant que la toilette est en plein accomplissement. Sur certaines représentations, les femmes sont réunies autour de la vasque par groupes de deux ou de trois. L’importance du lieu où se prend le bain est alors telle qu’il constitue un espace de rencontres pour les femmes. Le loutérion serait ainsi un élément permettant le développement de la sociabilité féminine.
De plus, dans certaines scènes de toilettes figurent des oiseaux comme nous pouvons le voir sur le lébès gamikos de Melbourne avec la présence d’un oiseau au pied du loutérion. Par leur présence, et en tant que symbole d’Aphrodite, la femme est placée sous la protection de la divinité. Il paraît logique que la déesse de la beauté et de l’amour intervienne, certes de manière indirecte, auprès des femmes dans ces moments d’intimité durant lesquels elles entretiennent une beauté nécessaire au développement et à la survie de l’amour.
Néanmoins, bien que ces scènes apparaissent sur des vases féminins, notamment des lébès gamikos, on retrouve certaines scènes aussi représentées sur de la vaisselle de banquet, notamment sur un cratère (Fig. 2). Or, si les femmes, tout du moins celle qui sont figurées nues, ne sont pas des prostituées, nous pouvons nous étonner que ces scènes d’intimité puissent décorer des vases utilisés lors du symposium. Selon, A. Stewart, ces images seraient la figuration de femmes fantasmées. En évoquant la beauté et la séduction, leur nudité stimulerait le voyeurisme des banqueteurs. Il faut aussi relever que ces images peintes sur des vases de banquet sont offertes aux buveurs. Lorsque la vaisselle offre aux yeux du banqueteur le spectacle d’une ou plusieurs femmes nues se prêtant à leur bain, la teneur érotique de l’image est alors sans équivoque. Il y a donc sur les céramiques, une mise en avant de plusieurs types d’érotisme. Il ne faut pas oublier que le monde du « gynécée » est inconnu pour les hommes. Peintres et spectateurs de l’image fantasment donc sur cet univers où ils ne peuvent entrer, ce fantasme réside alors non pas dans le fait de voir des femmes dénudées, mais dans la représentation que se font les hommes des femmes
N’oublions pas de noter que, comme l’ensemble des cités grecques, Paestum est une cité d’hommes. Dans ce monde ou prédomine le genre masculin, la femme occupe une place sociétale non négligeable. Sans elle, l’homme ne peut se reproduire et perpétuer sa lignée, et ainsi la pérennité de sa cité. N’oublions pas toutefois que ce que nous entrevoyons de ces femmes par le biais de ces multiples représentations n’est produit que par des regards exclusivement masculins. Ils sont certes destinés à tous, mais ils ne reflètent que le point de vue du genre masculin. Ainsi, les images que l’on trouve dans la céramique paestane offrent une conception de la femme dans la cité au regard de l’angle masculin. Cependant, les hommes ne considéraient pas seulement les femmes comme des reproductrices nécessaires à la survie de leur lignée. Elles incarnaient aussi des êtres attirants et séduisants, des « objets » de plaisir et de désir. Nous le constatons par la présence dans la céramique paestane de nombreuses scènes de toilette autour du loutérion, où les décorateurs cherchent à érotiser le corps de la femme.
Bibliographie :
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LISSARRAGUE, DURAND, 1980 : F. Lissarrague, J.-L. Durand, 1980, « Un lieu d’image ? L’espace du loutérion » dans Hephaistos, volume 2, Verlag Camelion, Lüneburg, pp. 89-106.
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STEWART, 1997 : A. Stewart, 1997, Art, Desire and the Body in Ancient Greece, Cambridge University Press, Cambridge.
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TRENDALL, 1987 : A. D. Trendall, 1987, The Red-figured vases of Paestum, The British School at Rome, Londres.
Notes :
1 A. D. Trendall, 1987, The Red-figured vases of Paestum, 1987.