L'histoire est l'avenir de l'homme !
Par Corinne Bonnet
Professeur en histoire à l'université Toulouse Jean Jaurès.
Qu’on se réfère à Louis Aragon ou à Jean Ferrat, on dit parfois que « La femme est l’avenir de l’homme ». En nous inspirant de ce texte, peut-on affirmer que « l’historien a toujours raison, qui voit plus loin que l’horizon » ? Le futur, l’avenir serait-il notre royaume, quand bien même c’est le passé qui est au cœur de la démarche des historiens ? À ces paradoxes le Festival toulousain « L’histoire à venir » semble faire écho. Pourquoi donc avoir initié, en mai 2017, à Toulouse, un Festival dédié à l’histoire et déployé sur une quinzaine de lieux en ville, y compris sur le campus du Mirail ? Pourquoi avoir voulu souligner ce lien intime entre hier, aujourd’hui et demain ?
En vérité, c’est l’attention au présent qui explique la volonté et même la nécessité de tisser des liens entre passé et avenir. L’éditorial qui a permis de lancer cette initiative collective, issue d’un groupe d’historiens rattaché pour l’essentiel à l’université Toulouse – Jean Jaurès, de la Librairie Ombres Blanches, du Théâtre Garonne et de la maison d’édition Anacharsis, mettait en avant le fait que nous vivons des temps « où sont mis à rude épreuve l’analyse critique des faits, l’autorité de la preuve et le rôle du savoir ». Fake news, « faits alternatifs », théories du complot, qui sapent les fondements même de la connaissance, interpellaient alors et interpellent plus que jamais les historiens, artisans minutieux des faits étayés, fabricants patients de connaissances critiques, chasseurs méticuleux de traces fragiles et tisseurs infatigables de toiles nécessairement incomplètes et imparfaites.
L’histoire à venir est donc née de l’exigence, de l’urgence même, en ces temps de profonds bouleversements, d’incertitudes sur notre devenir, de mettre en débat les possibles du passé afin qu’ils ouvrent de nouvelles manières de penser et de construire les possibles de l’avenir. En réengageant le savoir, en renouant le dialogue citoyen autour des enjeux de l’histoire, il s’agit aussi renforcer le pacte entre démocratie et connaissance. Connaître, savoir, apprécier, raisonner, argumenter, douter, questionner sont autant de passages obligés pour garantir le « vivre ensemble », la pluralité d’opinions, le respect mutuel. Parce que l’autorité d’un discours tient moins à celui qui l’énonce qu’à la rigueur de sa méthode, de ses arguments et de sa démonstration, il nous a semblé indispensable de donner à voir et à entendre comment se pense et s’écrit l’histoire aujourd’hui, et d’envisager collectivement comment elle s’écrira demain.
Pour partager son « atelier avec un vaste public de non spécialistes, l’historien doit multiplier les formats de communication : conférences, ateliers, échanges, laboratoires d’idées, mises en récit et en scène inventives. Il doit aussi jouer le jeu de l’ouverture vers les autres sciences humaines et sociales, mais aussi, au-delà, vers les sciences dites dures ou expérimentales, et encore vers des écrivains et des artistes pour quoi le passé, le présent et l’avenir sont aussi des « matières premières », les ingrédients d’une création entremêlant divers registres de réalité et de vérité, entre expérience, illusion, fiction et réalisme.
Placer les connaissances historiques et les pratiques historiennes es meson, « au milieu », au cœur de l’assemblée citoyenne qui les soumet au débat contradictoire, c’est aussi faire le choix de thématiques actuelles, identifier des enjeux du présent qui s’enracine dans le passé et engage l’avenir. C’est ainsi qu’en mai 2017, alors que Donald Trump était devenu président des États-Unis depuis quelques mois seulement, nous avons souhaité réfléchir sur les sources de l’histoire, ces innombrables données, si variées, éphémères parfois, répétitives ou singulières, toujours inscrites dans des contextes, produites par des acteurs, avec des intentions, ces données qui sont les atomes de l’histoire, le socle même de toute reconstitution du passé et de toute opinion au présent.


« Du silex au Big Data », de la préhistoire à l’ère numérique, quelles sont les données dont l’historien dispose ? Comment doit-il, peut-il les utiliser ? Comment passe-t-on du stock de données à la mise en récit du passé ? Comment les organise-t-on, les compare-t-on, les croise-t-on ? Et demain, quelle histoire pourra-t-on écrire avec les traces que nous laissons actuellement de nos activités ou sans celle que nous détruisons, lorsque nous « nettoyons » nos ordinateurs ? En 2018, sous le signe du Minotaure, nous avons exploré les relations complexes entre « Humain et Non-Humain ». Où situer la ou les frontières de l’humain, et comment interagissons-nous avec les dieux, animaux, paysages, monstres, super-héros, fantômes, machines, robots, extra-terrestres, technologies… Car faire l’histoire de la manière dont les sociétés ont défini l’humain, c’est comprendre comment chaque culture se définit et identifie une communauté d’intérêts, dont les contours varient selon les lieux et les époques. Des Big Data à l’Intelligence artificielle, L’histoire à venir affronte aussi les questions éthiques que pose le présent déboussolé de l’anthropocène. Quelle histoire à venir pour les humains et les non-humains solidaires ?
Dans le sillage de ces interrogations, l’édition 2019 a mis en débat ce que nous avons « En commun », hier et aujourd’hui, mais aussi ce qui demain pourrait être notre lot commun. Personne n’aurait pu imaginer, en mai 2019, que ce qui nous attendait en 2020 et 2021, c’était avant tout une pandémie en commun, signe viral d’une articulation décidément troublante entre hier, aujourd’hui et demain. Qu’est-ce qui définit notre humanité commune ? La mémoire des victoires et des défaites ? Les découvertes scientifiques mais aussi les déchets nucléaires qui empoisonnent Gaia ? Le débat politique contemporain est traversé par ces questions fondamentales qui renvoient à ce que nous partageons, ce que nous possédons collectivement, ce qui nous unit et nous permet de vivre ensemble. Socle idéologique, catégorie de l’imaginaire ou moteur de la vie collective, le « commun » engage passé, présent et avenir.
Mai 2020 : confinement et faux espoirs. L’avenir a du plomb dans l’aile. Sidération collective. On se tourne vers le passé. La peste athénienne racontée par Thucydide devient bonne à penser l’actualité la plus brûlante. Le Festival est reporté d’un an. La thématique « Usages du Faux » sera abordée en 2021. Documents ou preuves fabriqués de toute pièce, copies et faux en art, objets de contrefaçon, fausse monnaie, imposteurs, faux dieux, fausses rumeurs : départager le vrai du faux est au cœur de la méthode historique, celle-là même qui fonde la démarche scientifique. Les historiens, les chercheurs en général savent qu’ils contribuent à construire la vérité, même si, parfois, une pluralité de points de vue contribue à la construire. À l’opposé, les contre-vérités, les mensonges, les complotismes et autres manipulations, jusqu’au négationnisme servent des intérêts politiques et économiques, ponctuels, particuliers, qui peuvent hypothéquer l’avenir.

L’édition 2021 de L’histoire à venir s’est adaptée au contexte sanitaire. Si tu ne viens à l’histoire, c’est l’histoire qui viendra à toi ! En quatre temps, donc, en mars, mai, septembre et décembre, « Venir à l’histoire » propose des rencontres à distance, transmises sur la chaîne Youtube (https://www.youtube.com/channel/UCsi1-PFSRiuWLdPXt0zFAtw) et, dès que possible, en présence, avec le public qui nous suit fidèlement d’année en année. Du 18 au 21 mars, toute une série de belles propositions vous tendent la main ; une sorte de printemps de l’histoire : https://2021.lhistoireavenir.eu/
Programme :
JEUDI 18 MARS, 21 H
Les Baigneurs
Avec Anais Comet, Steve Hagimont et Carina Louart
VENDREDI 19 MARS, 21 H
Aux frontières floues du faux
Avec Christian Bernard, Stephane Boitel et Evelyne Toussaint
SAMEDI 20 MARS, 14 H
Le Maître et Marguerite : traduire un chef-d’oeuvre
Avec Francoise Morvan, Andre Markowicz et Christian Thorel
SAMEDI 20 MARS, 17 H 30
Qui êtes-vous, Messieurs Ehrenbourg et Kalatozov ?
Avec Natacha Laurent, Valerie Pozner et Camille Sarrat
SAMEDI 20 MARS, 21 H
Le monde est faux
Avec Sophie Rabau et Pierre Senges
DIMANCHE 21 MARS, 14 H
Stratégies littéraires du faux à travers les siècles
Avec Fabienne Bercegol, Pascale Chiron, Philippe Foro et Marine Le Bail
DIMANCHE 21 MARS, 17 H
« Voir » les masques
Avec Adeline Grand-Clement et Erhard Stiefel
L’Antiquité est toujours présente, dans ce Festival, depuis le début, avec des rencontres, des conférences, des événements théâtralisés, des invités, des sujets variés et un grand intérêt de la part du public. Elle le sera tout au long des 4 moments de 2021, en attendant le grand retour du Festival en 2022 !
L’histoire à venir, enfin, c’est un travail d’équipe auquel participent de nombreux étudiants comme stagiaires. Il vivent l’aventure avec nous, la trépidation des derniers préparatifs, l’enthousiasme des salles pleines, les rencontres inattendues, le marathon des idées… Car, comme la Semaine de l’Antiquité, L’histoire à venir est une machine à réfléchir et à partager connaissances et émotions.
