Le pouvoir chez les dieux : de la puissance de Zeus. Quelques réflexions autour de l’épisode ‘Moi, mioches et méchants’ de la série humoristique « 50 nuances de Grecs » (Arte)
Par Adeline Grand-Clément
Maître de conférence en histoire grecque à l'université Toulouse Jean Jaurès et à l'IUF.
La série d’animation « 50 nuances de Grecs » diffusée par Arte depuis 2018 est adaptée de la bande dessinée éponyme du dessinateur Jul. Elle joue sur les références antiques en proposant dans chacun des épisodes de 4 minutes un télescopage amusant et efficace entre actualité du temps présent et imaginaire lié au monde grec antique, vu au prisme de ses divinités. Les titres choisis reposent sur des jeux de mots, souvent en rapport avec des œuvres littéraires, cinématographiques ou musicales contemporaines. Pour le premier épisode, par exemple, il s’agit d’un clin d’œil au dessin animé ‘Moi, moche et méchant’ sorti en 2010 (https://www.youtube.com/watch?v=OPf1YYSKxBs). Le léger glissement de ‘moche’ à ‘mioches’, au pluriel, permet d’aborder le thème de la prolifique descendance du grand dieu de l’Olympe, Zeus. Même le générique est savoureux : depuis Gaia et Ouranos jusqu’à la prise de pouvoir par Zeus et le début de ses « conquêtes » amoureuses, il propose une sorte de version accélérée du récit sur l’origine du monde et des dieux que l’on trouve dans la Théogonie du poète archaïque Hésiode.
Le comique de l’épisode en lui-même résulte des allusions au monde contemporain (ainsi la place de la Grèce en Europe et le rôle de l’administration de Bruxelles ; la moussaka – un plat qui n’était pas du tout connu des Grecs anciens mais est devenu emblématique des Grecs modernes ! ; les questions de procréation assistée, de reconnaissance de paternité, de pensions alimentaires) qui se trouvent propulsées dans l’univers des mythes grecs. Zeus devient ainsi un vieux bougon, contraint d’admettre qu’il n’a cessé de poursuivre des déesses ou des femmes et a eu des myriades de « mioches ». C’est effectivement une façon amusante de lire la mythologie relative au souverain de l’Olympe. Le Kronide, dont l’un des attributs est la foudre (on l’identifie ainsi à l’éclair qu’il tient dans la main), donne ici l’image d’un coureur de jupon, très volage… Image que l’on trouve parfois chez les auteurs chrétiens de la fin de l’Antiquité, pour discréditer les récits de ceux qu’ils nomment les « païens » : leurs dieux sont présentés comme ridicules et bien trop humains. Ce n’est pourtant pas ainsi qu’il faut comprendre l’incroyable puissance génésique de Zeus : l’helléniste Jean-Pierre Vernant a bien montré que si le dieu qui règne sur l’Olympe et a réparti les compétences au sein du panthéon s’unit à autant de déesses, c’est pour renforcer son pouvoir : ainsi, s’unir à Mètis, déesse de l’intelligence rusée, puis la manger, permet de conserver en soi un outil précieux de pouvoir. Quant aux unions avec les mortelles, elles génèrent quantité de héros et d’héroïnes, figures mythologiques à la nature mixte, intermédiaire entre les divinités et les humains, qui jouent un rôle très important de médiation dans les pratiques cultuelles des Grecs (ainsi Hélène vénérée à Sparte).
L’épisode met aussi en avant les facultés de métamorphose de Zeus, ce qui nous rappelle que les dieux ne sont pas des personnes mais des « puissances », qui peuvent parfois prendre forme humaine pour se manifester, mais dont l’apparence, in fine, se dérobera toujours à l’entendement humain.
Pour finir et pour jouer, deux petites questions : en regardant l’épisode, saurez-vous repérer deux inexactitudes/erreurs dans les références au monde grec antique ? L’une, sur le plan visuel (et elle est sans doute assumée) ; l’autre, sur le plan lexical (un mot utilisé pour un autre, et là je ne pense pas que ce soit volontaire). Réponse dans la vidéo ci-dessous ! Bon visionnage !
Pour compléter, sur la conquête du pouvoir par Zeus, un documentaire d’Arte : https://www.youtube.com/watch?v=eV3-pN7fKig et un article de Jean-Pierre Vernant : https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1971_num_180_1_9730