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Le discours monétaire des Césaricides, exemple d’un denier de Cassius (RRC 505/3).

Par Alexandre Peller

Étudiant en master 2 Mondes Anciens à l'université Toulouse Jean Jaurès.

     Les thèmes de la semaine de l’Antiquité et du webzine de cette année, le pouvoir et le démêlage du vrai et du faux dans l’Antiquité m’ont donné l’idée de vous présenter une monnaie romaine. Plus précisément un denier, frappé par C. Cassius et son lieutenant M. Servilius en 42 av. J.-C. Le monnayage était en effet au centre du pouvoir dans la République romaine, et les types monétaires, les symboles utilisés sur la monnaie, pouvaient manipuler la réalité pour servir la communication politique de ceux qui la frappaient. Étudiant en deuxième année de Master Sciences de l’Antiquité et travaillant sur les partisans des Césaricides, c’est-à-dire les assassins de César, j’ai imaginé que ce sujet pouvait tout à fait correspondre aux thèmes proposés.

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D/Tête de Libertas avec couronne de laurier à droite ; à gauche, C(aius). CASSEI. IMP(erator). Grènetis

R/ Crabe vue de haut tenant entre ses pinces un aplustre ; en dessous, un diadème dénoué et une rose ; à gauche, M(arcus). SERVILIUS ; à droite, LEG(atus). Grènetis.

     Il est important dans un premier temps de revenir sur le contexte d’émission de cette monnaie. Au cours de la séance du Sénat des Ides de Mars (15mars) 44 qui se tenait alors au sein de la Curie de Pompée, Cassius, Brutus, ainsi qu’un certain nombres d’autres sénateurs assassinèrent César¹. Si cet acte est connu du grand public, la suite l’est peut-être un peu moins. Après l’assassinat, ceux que l’on nomme les césaricides voyagèrent vers les provinces orientales de l’empire et en prirent progressivement le contrôle. En moins d’un an, ils contrôlaient en effet avec l’assentiment du Sénat, toutes les provinces allant de l’Illyrie à la Syrie² . Les césariens ne restèrent pas pour autant inactifs : en août 43, Q. Pedius, alors consul et collègue d’Octavien, fils adoptif de César, fit voter la Lex Pedia qui condamnait à mort les assassins de César³. Le 11 novembre de la même année, les héritiers du parti césarien (Octavien, Antoine et Lépide) se rencontrèrent à Bologne. De cette rencontre naquit le triumvirat, une magistrature, mais aussi une alliance politique visant à se partager le pouvoir sur les provinces encore sous leur contrôle et à combattre les césaricides⁴. De plus, les noms de leurs ennemis furent inscrits sur des listes de proscriptions, condamnant ces derniers à une mort presque certaine⁵. La proclamation du triumvirat entraîna donc un nouvel épisode de guerre civile entre les héritiers de César et le parti des césaricides que l’on nomme républicains. Il était primordial dans ce contexte de légitimer ses actions et sa position afin de s’assurer des partisans et des légions. Or, à cette époque une grande partie de la communication politique pouvait passer par le monnayage, d’autant plus que les monnaies frappées étaient en majorité distribuées aux troupes. Ainsi, nous allons nous intéresser dans cet article à la façon dont cette monnaie s’inscrit à la fois dans la discours monétaire des républicains et légitime en même temps leur position.

     Tout d’abord, intéressons-nous au droit de la monnaie (la première face). Sur celle-ci figure une tête de Libertas avec une couronne de laurier. Cette dernière est une personnification du concept romain de Libertas et s’oppose à la monarchie césarienne. Les républicains accusaient en effet César d’avoir voulu déformer le système républicain aristocratique au profit d’un gouvernement plus monarchique. César s’étant fait conférer la dictature perpétuelle au cours de la séance du Sénat du 14 février 44⁶. Les césaricides se nommèrent d’ailleurs tyrannicides et se félicitèrent d’avoir assassiné un tyran, à l’image des tyrannoctones athéniens⁷. Ainsi, ce type monétaire est très répandu dans le monnayage républicain (présent sur 16 des 31 monnaies différentes frappées entre 44 et 42) et cette défense de la République ancestrale siège au cœur de leur communication politique. Cette idée est également mise en valeur par l’utilisation d’une graphie archaïsante. C. Cassius qui a fait frapper cette monnaie a en effet préféré faire écrire son nomen « CASSEI », orthographe désuet au premier siècle avant notre ère. Le fait que M. Servilius, légat de Cassius, soit également mentionné permet de le légitimer en tant que triumvir monétaire, le magistrat romain en charge de la frappe de la monnaie à Rome. Au moment où est frappée cette monnaie, le Sénat est détenu par les césariens et les républicains détiennent donc leurs pouvoirs et leurs provinces de manière illégale. En affirmant leurs magistratures, ils nient cette position. Sur d’autres monnaies, les noms des individus présents sont souvent accompagnés de leurs magistratures ou fonction militaire.

     Toutefois, si les républicains s’opposent à leurs adversaires en affirmant la primauté de la République sur les intérêts personnels, cela n’empêcha pas pour autant Brutus de parfois faire figurer son propre buste sur ses monnaies⁸ comme l’ont également fait les héritiers du parti césarien. Il ne faut pas perdre de vue que ceux-ci étaient avant tout des aristocrates luttant pour rester au centre du pouvoir. La communication politique des césaricides s’appuyait également sur un deuxième pilier, celui de la célébration de leurs victoires, dont le revers de la monnaie en est généralement le support.

     Pour comprendre le revers de cette monnaie, il faut encore revenir sur son contexte d’émission. Cette dernière célèbre la victoire de la flotte républicaine sur la cité de Rhodes en 42. Cette cité ainsi qu’une partie de la Lycie, dans le sud-ouest de la Turquie actuelle avaient en effet refusé de se rendre aux républicains et avaient même choisi de rejoindre le camp des césariens dans la guerre civile. Si Brutus s’occupa des Lyciens⁹, c’est Cassius qui eut la charge de soumettre les Rhodiens. Il vaincu d’abord une partie de la flotte rhodienne lors d’une première bataille, celle de Myndus, puis assiégea ensuite la cité qui, encerclée par la terre et par la mer, finit par se rendre¹⁰. Ce sont Fannius et P. Cornelius Lentulus Spinther qui en tant que légats, commandaient alors les troupes et la flotte de Cassius lors de cet assaut. Cassius fut alors acclamé imperator, ce titre qui était accordé aux généraux par leurs troupes suite à une victoire affirmait ainsi leur loyauté. Son rajout sur la monnaie (C. CASSEI. IMP) permet donc de présenter Cassius comme un général glorieux, apprécié de ses troupes. Le crabe au centre de la monnaie est le symbole de l’île de Kos, une île voisine et stratégique dont le contrôle était un des objectifs de la guerre contre Rhodes. Vous pouvez voir ici un tétradrachme de Kos du IIIᵉ siècle av. J.-C. sur lequel figure également un crabe.

Fig. 2.jpg

     Le crabe de la monnaie de Cassius et de M. Servilius tient dans ses pinces un aplustre, un ornement qui était posé sur la poupe des navires de l’Antiquité et qui fait ici figure de trophée militaire. Il célèbre en effet la double victoire sur la flotte rhodienne réputée plus expérimentée, à la bataille de Myndus et lors du siège de la ville. La rose est quant à elle un symbole de Rhodes et fait donc référence à la victoire de Cassius et à la prise de la cité. Le dernier type monétaire est un diadème, il fait référence à un épisode selon lequel les Rhodiens suite à leur défaite aurait voulu décerner à Cassius le titre de roi mais celui-ci aurait refusé, se proclamant au contraire meurtrier des rois. C’est pour cette raison que le diadème est délié sur la monnaie. Si la véracité de cet événement n’est pas assurée, sa représentation rejoint la communication anti monarchique des républicains.

 

     Ainsi l’analyse de cette monnaie nous permet d’illustrer le double discours des césaricides. Un discours anti monarchique et fondamentalement en faveur de l’ancienne république, qui leur permet de légitimer à la fois l’assassinat de César et leur possessions dans les guerres civiles. Puis un autre discours, de glorification de leurs victoires, plutôt adressé aux militaires et servant à alimenter l’image d’un général puissant et apprécié.

Bibliographie complémentaire :

  • « Coins of Marcus Brutus », American Journal of Numismatics, and Bulletin of the American Numismatic and Archaeological Society, 1878, 13, n° 1, pp. 1-3.

  • Crawford M., 1974, Roman Republican Coinage 1, 566 p.

  • Mattingly H., 1948, « Eid Mar », L’Antiquité Classique, pp. 445-451.

​Notes :

 

1 Plut., Caes., 66 ; App., BC., 2, 117 pour ne citer qu’eux. César aurait selon la majorité des sources était assassiné de vingt-trois coups de couteau (Plut., Caes., 66, 14 ; Suet., Iul., 83 ; App., BC., 2, 117.) mais seuls les noms de vingt assassins sont connus.

2 Cic., Phil., 10, 26 ; 11, 30.

3 Vell., 2, 69.

4 App., BC., 4, 4-8.

5 App., BC., 4, 16-20.

6 App., BC., 2, 107.

7 App., BC., 2, 119.

8 Crawford RRC 1 1974, p. 517 n° 506/1, 507/1 ; p. 518, 508/3.

9 App., BC., 4, 344.

10 App., BC., 4, 305 ; 4, 308.

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